Chapitre 47

 

 

Le garçon agrippa les pierres moussues du parapet et se hissa, le souffle coupé par l’effort. Derrière lui, la brise faisait flotter la bannière de son père. Lorsqu’il regarda par-dessus les remparts, le reflet du soleil sur le petit loch en bas des murailles lui fit plisser les yeux, qu’il avait bleu pâle. Une armée sortait lentement de l’océan de verdure qui entourait la forteresse. Hommes et chevaux avancèrent jusqu’à la surface miroitante de l’eau, avec leurs heaumes et leurs lances scintillantes. Les yeux du garçon se posèrent sur l’étendard à l’avant de la compagnie. Un chevron rouge sur fond blanc.

— Bâtards, murmura-t-il.

En redescendant, le garçon vit la bannière de son père, trois étoiles blanches sur du bleu chatoyant. La vue du drapeau l’emplit de courage.

— Eh bien qu’ils viennent.

Il se précipita vers la porte et dévala les escaliers au pas de course.

Quand il fut en bas, il s’aperçut que la porte de la chambre de ses parents était entrouverte. La lumière du feu filtrait par l’entrebâillement et on parlait à l’intérieur. Le garçon s’immobilisa et retint sa respiration pour ne pas se faire remarquer. La voix de sa mère lui parvint, douce mais inquiète.

— Je vais leur parler. Ils voudront sûrement parlementer avec moi.

— C’est le comte de Carrick qui est à leur tête, madame. Le jeune Bruce est la marionnette du roi Édouard, à ce qu’on dit.

Le garçon s’approcha. C’était Dunegall, le capitaine que son père avait laissé aux commandes de la garnison. Il était vaillant, mais aussi vieux que les collines alentour et miné par la goutte.

— Je leur parlerai depuis les portes, madame, et j’exigerai qu’ils me disent pourquoi ils s’introduisent ainsi sur les terres de lord Douglas.

— Nous ne savons que trop bien pourquoi ils viennent, Dunegall. Mon époux s’étant rallié à William Wallace, ils sont là pour James et pour moi. Ils veulent le châtier à travers nous. Cela ne fait pas le moindre doute.

Le garçon recula d’un pas en entendant son nom et la menace à laquelle il était associé.

— Ne craignez rien, madame, ces murs sont solides.

— Avec tout ce que l’Usurier a prélevé, nos réserves sont presque vides. Nous ne pourrons pas rester ici indéfiniment. S’ils ne réussissent pas à entrer de force, Bruce et ses hommes vont nous affamer. Non, j’irai à leur rencontre.

Lady Douglas sembla hésiter. Mais quand elle reprit la parole, elle paraissait calme. James reconnut bien là la fermeté de caractère dont elle était capable. Il l’avait affrontée plus d’une fois lorsqu’il commettait des bêtises.

— Je vais leur dire que James n’est pas là. Si je me livre à eux, ils se contenteront peut-être de moi. Quoi qu’il arrive, Dunegall, promettez-moi de ramener James à son père.

James s’adossa au mur puis, sans attendre la fin de la conversation, il traversa la tour en courant. Si son père était là, il aurait chargé sur son destrier en poussant un cri qui aurait ébranlé les fondations du donjon et donné l’impression à leur ennemi que l’enfer se déchaînait sur lui, et il ne se serait pas arrêté tant que le sol n’eût pas été gorgé de sang, le sien ou le leur. En aucun cas, il ne laisserait sa femme affronter une armée. Bon, James ne pouvait pas charger – les hommes de son père avaient pris tous les chevaux, sauf le hobby irlandais de sa mère et quelques vieux canassons – mais des armes, il en avait. Il gardait l’épée avec laquelle il s’était entraîné toute l’année dans la chambre où il dormait, mais la salle de garde était plus proche. De toute façon, il lui fallait une arme d’homme.

 

De l’autre côté du loch, Robert se regroupa avec les hommes d’Annandale tandis que les soldats poursuivaient leur progression à couvert, derrière eux. Il avait à ses côtés Nes et Walter, un chevalier de Carrick qui lui avait donné satisfaction à Carlisle et dont il avait fait son porte-bannière. Walter tenait haut son étendard, le chevron rouge ressemblant à une flèche pointée vers le ciel. Les sabots des chevaux s’enfonçaient dans le terrain boueux, les rives près du loch grouillant de gibier d’eau. Robert apercevait les reflets de bronze ou d’argent des oiseaux qui s’ébattaient entre les roseaux, dérangés par la présence des hommes. Derrière le plan d’eau, le château de lord Douglas se dressait en haut d’une butte herbeuse. Il ressemblait vaguement à Lochmaben : un donjon de pierre au sommet, renforcé de poutres, et une cour entourée d’une palissade. La seule vraie différence se situait au niveau du terrain, beaucoup plus boisé ici.

Robert avait guidé sa compagnie dans une forêt touffue pendant des lieues. Ils avaient suivi la rivière Annan au nord à travers le domaine de son père avant de tourner vers l’ouest et de franchir une succession de collines. Ils avaient chevauché dans un paysage changeant et verdoyant, peuplé de hêtres et de chênes, où les rivières sinuaient au fond des vallées tandis que les cascades se précipitaient le long de parois verticales. Au loin, ils pouvaient voir l’ombre bleue des premiers hauts sommets qui barraient la route au nord et à l’ouest. Douglas, situé dans une vallée au cœur de la forêt, était un endroit paisible qui fleurait bon les herbes sauvages.

Assis à califourchon sur Chasseur à l’orée du bois, le soleil lui réchauffant le visage, Robert observait le décor qui s’étalait devant lui. Il aurait dû y avoir des paysans, des fermiers conduisant le bétail aux pâturages, des filles emportant le linge au bord de l’eau, des seigneurs et leurs fils sortis avec leurs arcs chasser les premiers cerfs. Au lieu de cela, l’endroit était désert et closes les portes du château. Les seuls signes de vie étaient la fumée au-dessus de l’enceinte et le bruit des animaux paniqués de l’autre côté de la palissade. Il vit la bannière de Douglas qui flottait en haut du donjon. Robert n’avait jamais rencontré sir William Douglas ou sa famille, mais il savait que son épouse était la sœur du vieil allié de son grand-père, James Stewart. Le fils et héritier de Douglas portait le même nom que le grand chambellan, qui était à la fois son oncle et son parrain.

— Montons-nous le camp ?

Un chevalier au regard dur dévisageait Robert. Gillepatric était l’un des plus loyaux vassaux de son père, un homme rude et rusé qui avait contribué à la défense de Carlisle. Robert se demandait souvent comment son père inspirait une telle loyauté à des hommes tels que celui-ci, qui avaient gardé foi en lui alors que les Comyn brûlaient leurs domaines. Il supposait qu’au bout du compte, la décision de son père de soutenir le roi Édouard avait été la bonne, car les hommes d’Annandale restaient parmi les rares en Écosse à avoir conservé leurs titres et leurs terres, la plupart des autres étant désormais soumis au joug des barons anglais comme Warenne ou Percy. Pourtant, son père lui inspirait bien peu de dévotion. Robert prit conscience que ces hommes ne menaçaient nullement les ambitions de son père. Ils le suivaient, fidèles, parce qu’il le fallait, pour leur propre bien autant que pour celui de leur seigneur. Alors que lui, tapi dans l’ombre, était le rival qui cherchait à prendre la place et la fortune de lord d’Annandale. Son père s’était déjà vu retirer son comté. Quand bien même il admirait son grand-père, Robert devait reconnaître que la déception que causait au vieux lord son fils et l’affection qu’il éprouvait pour son petit-fils étaient les principales causes de leur division. Pour la première fois, il eut l’impression de comprendre le ressentiment de son père. Il lui tendait un miroir dans lequel sa vie défilait.

— Pas encore, répondit Robert à Gillepatric. Je veux d’abord parler au commandant de la garnison.

Il n’imaginait pas que la femme et le fils de Douglas se livreraient de leur plein gré, mais il se devait de parlementer avec eux avant de lancer le moindre assaut.

Il donna ordre à ses capitaines de faire reposer les troupes et d’envoyer quelques soldats surveiller les routes à l’arrière et choisit six hommes pour l’accompagner au château, parmi lesquels Walter, Gillepatric et l’écuyer du Yorkshire, Christopher Seton. Robert s’était pris d’amitié pour l’écuyer ces derniers mois. Le jeune homme lui rappelait d’agréable façon son petit frère, Niall, qui était resté en Irlande avec Thomas pendant la guerre. Christopher possédait la même gaieté naturelle et le même désir de plaire sans obséquiosité. Pour cette mission, Christopher avait la chance de compter sur la présence d’un cousin écossais, Alexandre, seigneur du Lothian, de dix ans son aîné. Alexander Seton n’avait pas le même don pour se rendre instantanément agréable, mais il était un combattant doué. Robert lui fit signe de le suivre lorsqu’il se détacha du gros des troupes.

La petite compagnie s’avança vers les portes du château en contournant le loch par une piste poussiéreuse. Robert bouillait d’impatience. Il s’efforça de chasser son agitation, la nervosité dans un tel cas se révélant en général dangereuse, mais il ne pouvait se cacher qu’il voulait en finir au plus tôt avec cette histoire. Affraig était restée dans ses pensées pendant tout le voyage jusqu’à Douglasdale. Ses accusations le hantaient. Il avait été assailli par des visions de Henry Percy et de ses hommes chassant dans les forêts de Carrick, prenant tout ce qu’ils voulaient dans les réserves et les garde-manger sans considération pour les protestations. Il les avait vus en action au pays de Galles. Robert n’avait jamais été proche du lord d’Alnwick, avec son sourire froid, mais il le connaissait assez pour savoir que les hommes et les femmes d’Ayrshire et du Galloway auraient à subir les pires tourments. Comme le peuple de son propre comté, coincé entre les deux.

— Sir !

Robert tira les rênes de Chasseur en entendant la voix de Christopher. Sur leur droite, de l’autre côté de l’étendue d’herbe, une petite porte s’ouvrait dans la palissade. Robert ralentit en voyant un homme seul en sortir. L’individu était incroyablement mince et petit. Pourtant, le plus étrange n’était pas son physique mais son accoutrement. Il portait une simple tunique blanche nouée par une ceinture, sans armure à l’exception d’un grand heaume dont il avait baissé la visière. Le métal était rouillé et le heaume mal ajusté, presque de travers. L’homme, qui dévalait le talus herbeux dans leur direction, tenait une grande épée à deux mains. Les hommes qui se tenaient aux côtés de Robert le regardaient avec étonnement, suspectant quelque astuce. Robert leur fit signe de rester où ils étaient, et poussa Chasseur vers l’homme, la main sur le pommeau de son épée, mais sans la tirer.

— Je suis sir Robert Bruce, comte de Carrick. Je suis ici sur ordre du roi Édouard pour arrêter la femme et le fils de lord William Douglas, en représailles de sa rébellion contre la Couronne.

Ce qu’il disait sonnait faux. Robert sentait le dégoût imprégner le moindre de ses mots. L’homme ne répondit pas. Robert répéta, plus fort cette fois, en faisant stopper Chasseur à une distance raisonnable.

— Je combattrai n’importe lequel des hommes de votre armée, lança l’homme d’une voix farouche. Mais si je gagne, vous laisserez lady Douglas en paix.

La voix avait beau être étouffée par le heaume, Robert comprit qu’il avait un enfant en face de lui. Des rires éclatèrent lorsque les chevaliers entendirent le défi bravache du garçon. Pour toute réponse, ce dernier fit quelques pas vers Robert.

— Allez-vous donc accepter, bande de lâches ?

Les rires cessèrent net et Gillepatric tira son épée d’un air hargneux. À cet instant, les portes principales du château s’ouvrirent et une femme apparut. Elle eut un cri en voyant le garçon s’apprêter à affronter Robert.

— James ! hurla-t-elle en courant vers lui. Mon Dieu ! James !

— C’est son fils ! s’exclama triomphalement Gillepatric en lançant son cheval vers le garçon. C’est le fils de Douglas !

D’autres cris retentirent tandis que les hommes de la garnison commençaient à suivre la femme, prêts au combat. Les chevaliers de Robert éperonnèrent leurs chevaux pour se porter vers eux. Au loin, de l’autre côté du loch, une corne sonna. Les troupes avaient vu les soldats sortir de la forteresse. La femme, arrivée près de l’enfant, l’empoigna par le bras et le tira en arrière. Dans la lutte, l’énorme heaume sauta de sa tête et tomba au sol, révélant le visage pâle d’un garçon de douze ou treize ans, aux cheveux d’un noir de jais.

Robert vit Gillepatric et Christopher se ruer vers la femme et l’enfant. Les autres chevaliers, eux, fonçaient sur les gardes. Au milieu du chaos, le garçon se débattait et essayait de s’arracher aux bras de sa mère, serrant toujours son épée, les lèvres retroussées, ses yeux bleus brillant comme des saphirs. Robert était stupéfait par le courage du garçon. Il avait la bouche sèche et le cœur qui cognait. Il se revit, des années plus tôt, dans l’église de Scone, brandissant son épée contre John Comyn pour défendre son grand-père. Tout à coup, quelque chose se brisa en lui, et cette brisure nette, instantanée, fut à la fois douloureuse et libératrice. Il enfonça les talons dans les flancs de Chasseur et, en un éclair, vint se placer entre la femme, l’enfant et les chevaliers de son père. Levant son épée, il hurla à ses hommes de s’arrêter. Gillepatric et Christopher venaient droit sur lui. Pour éviter la collision, Gillepatric dut tirer si fort sur ses rênes que son cheval se cabra, ses sabots fendant l’air. Christopher Seton parvint, lui, à faire volte-face, même si son cheval protesta par un couinement aigu.

La femme avait réussi à emmener James à l’écart et les gardes du château les avaient rejoints. Ils formèrent un cercle autour d’eux et tentèrent de les ramener à l’intérieur de l’enceinte.

Gillepatric avait repris le contrôle de son cheval.

— Au nom du Christ, que faites-vous ? cria-t-il à Robert en pointant son épée vers le groupe qui battait en retraite. Nous pouvions nous emparer de lui !

Robert soutint le regard d’airain du chevalier.

— Non.

— Nous avons ordre de capturer la femme et le fils !

— Et vos ordres sont de suivre mon commandement.

Derrière Robert, les gardes, qui avaient atteint les portes du château, disparurent à l’intérieur avec la femme et l’enfant. D’autres cavaliers, attirés là par l’échauffourée, arrivaient à bride abattue par le sentier qui longeait le loch.

Le regard de Christopher passait de Gillepatric à Robert.

— Que se passe-t-il, sir Robert ? Pourquoi nous avez-vous arrêtés ?

Entendant les portes du château se refermer, Robert jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Le sentiment de victoire qui l’habitait en cet instant lui donnait envie de sourire.

— Nous n’allons capturer ni lady Douglas, ni son fils.

Gillepatric le jaugea un moment. Les cavaliers ralentirent en voyant les portes closes. Le fracas des sabots emplissait l’air.

Robert voulait dire quelque chose, mais il hésitait, ne sachant quoi au juste. À quoi jouait-il ? Il repoussa cette question et il s’adressa au groupe de chevaliers qui avait grossi.

— Je vous ai convoqué selon les instructions de mon père. Mais maintenant que je suis ici, il m’est impossible d’accomplir cette mission, annonça-t-il d’une voix de plus en plus assurée. On nous a envoyés capturer la femme et le fils d’un homme qui se bat pour notre royaume. Quelqu’un ici peut-il me dire qu’il est d’accord avec ce qui se passe ?

— Ce n’est pas à nous de remettre en cause un ordre qui vient du roi, répondit sèchement Gillepatric.

— L’Écosse n’a pas de roi, assena Robert. Balliol est en prison en Angleterre.

— Et le roi Édouard gouverne à sa place. Avez-vous oublié que nous lui avons fait allégeance après la guerre ?

— Les serments du vaincu au vainqueur, rétorqua Robert.

Il avait l’impression de se réveiller d’un long sommeil de plusieurs mois. C’était un sentiment grisant mais fugace.

— C’est de la folie, s’écria Gillepatric. Vous déshonorez votre père et son nom. Il pourrait perdre ses terres. Nous pourrions tous perdre nos terres !

— Pas si l’on sait qu’il n’a rien à voir avec ça.

— Sir Robert, dit l’un des chevaliers. Vous ne pourrez pas retourner à Carlisle ou à Annandale si vous désobéissez aux ordres du roi. Vous serez emprisonné en Angleterre avec Balliol et les autres.

— Je n’ai pas l’intention d’y retourner.

En prononçant ces mots, Robert éprouva un immense soulagement. Pris au piège sous l’autorité de son père, n’ayant pas le droit de s’exprimer ou de prendre ses propres décisions, il avait été traité comme un humble chevalier et non comme le comte qu’il était. On lui avait refusé toute indépendance. Mais s’il chassait des doutes de son esprit en agissant ainsi, d’autres ténèbres les remplaçaient. Il pensa à la perspective de l’emprisonnement et de la perte de ses terres. Il pensa à son engagement auprès du roi et des Chevaliers du Dragon, à ce serment qu’il trahissait, et un sentiment de culpabilité s’abattit sur lui en songeant à Humphrey. Mais il ne pouvait laisser une amitié ou un serment déterminer le sort du royaume, plus maintenant.

— Vous pouvez choisir de retourner à Annandale et de rester au service de mon père, dit-il aux chevaliers. Ou, si vous le voulez, vous pouvez venir avec moi. Quoi qu’il en soit, nous quittons les terres de sir Douglas.

Son regard balaya l’assemblée du regard et se posa pour finir sur Gillepatric.

— Tels sont mes ordres, conclut-il.

Gillepatric écumait.

— Vous êtes fou ! Personne ici ne vous suivra.

Un bref instant, le chevalier, de dégoût, parut sur le point de tourner bride, mais il fit brusquement volte-face, son épée dirigée contre son chef.

Robert, qui avait déjà baissé son arme, n’avait aucune chance. Cependant, Christopher Seton avait anticipé l’intention hostile de Gillepatric et il jeta son cheval entre eux, sa propre épée tendue pour dévier le coup. Le chevalier, plus expérimenté, était aussi plus rapide. Modifiant la trajectoire de son bras au dernier instant, il écrasa le pommeau sur le visage de l’écuyer. Sous le choc, Christopher partit à la renverse et glissa de sa selle. Robert leva alors son épée vers Gillepatric en poussant un cri féroce. En même temps, le coursier de Christopher rua, semant un vent de panique parmi les autres chevaux, et les sabots de Chasseur évitèrent de justesse le crâne de Christopher. Mais d’eux tous, Alexandre Seton fut le plus vif. Se frayant un passage dans la cohue, il se jeta sur Gillepatric et passa son bras autour de son cou. Puis il tira et serra pour étrangler le chevalier. Plusieurs compagnons de Gillepatric tournèrent leur épée contre Alexandre tandis que Christopher se relevait difficilement, la main sur son nez en sang. Gillepatric lâcha son épée et essaya de se défaire de la prise d’Alexandre. Nes et Walter s’interposèrent pour défendre Robert.

— Ça suffit !

La voix de Robert calma toutes les ardeurs. Tremblant de rage et encore sous le choc de cette attaque inattendue, il s’efforça de reprendre contenance.

— Tout le monde arrête. Tout le monde, répéta-t-il en croisant le regard d’Alexandre, qui n’avait pas relâché sa prise.

Le visage de Gillepatric virait au cramoisi.

— Je ne veux pas d’un bain de sang. Pas en mon nom, sacrebleu !

Lentement, Alexandre relâcha Gillepatric. Christopher s’était remis sur ses pieds et reniflait. Ayant recouvré sa liberté, Gillepatric s’affaissa sur sa selle et avala de grandes bouffées d’air. Ses proches pointaient toujours leur épée sur Alexandre mais ils ne bougeaient pas. Leur regard hésitant allait de Robert à Gillepatric. L’un d’eux descendit de cheval et ramassa l’arme du vieux guerrier.

Gillepatric massa son cou, toisant Robert.

— Vous n’êtes pas le fils de votre père, siffla-t-il.

Il attrapa alors l’épée que son camarade lui tendait, fit tourner son cheval et l’éperonna violemment pour repartir vers le loch. Ses hommes le suivirent. D’autres encore quittèrent le cercle qui s’était formé autour de Robert. Quelques-uns essayèrent de le persuader de changer d’avis mais il resta assis, muet, refusant de revenir en arrière. Quelques minutes plus tard, seuls restaient Nes, Walter et les Seton.

Robert adressa un signe de gratitude aux deux cousins.

— Merci de m’avoir défendu, dit-il avant de s’adresser à Alexandre. Vous avez un riche domaine, sir Alexandre. Vous le perdrez probablement si vous restez avec moi.

— Je crois bien que je perdrai ma propriété quoi que je fasse, rétorqua Alexandre en souriant froidement. Le roi Édouard sculpte notre royaume à sa convenance. Bientôt, il n’y aura plus un Écossais sous son autorité. Mais si William Wallace réussit dans sa rébellion, nous pourrions tous être récompensés d’avoir choisi le bon côté aujourd’hui.

Alexandre se tourna vers Christopher, qui s’essuyait le nez du revers de la main. Celui-ci opina.

— Je suis avec vous, sir Robert, où que vous vouliez aller.

Robert réfléchit en silence aux implications de ses actions, qui l’avaient placé du côté des insurgés. Il pensa à la situation de William Wallace. Pour ce qu’il en savait, le chef rebelle se battait au nom de Jean de Balliol, ce qui ne faisait pas nécessairement de lui un allié. La douce voix de Nes l’arracha à ses pensées.

— Où irons-nous, sir ?

— Peut-être à Carrick, dit Robert après un instant. Oui, reprit-il plus fermement, allons vers mon peuple.

Il ne leur laissa pas le temps de poser des questions et poursuivit :

— Je veux que vous retourniez au campement. Escortez ma suite et ma fille jusqu’ici et prenez tout ce qui peut servir.

— J’ai deux hommes avec moi, répondit Alexandre. Deux chevaliers. Ils viendront avec nous.

Robert regarda vers le loch où son armée se mettait déjà en branle, puis il lança Chasseur vers les portes du château. Au pied des palissades, il sauta à terre. Il entendait qu’on parlait de l’autre côté.

— Je voudrais m’entretenir avec lady Douglas, annonça-t-il pleine d’assurance. Je suis seul. Mon armée s’en va.

Lentement, les portes du château de Douglas s’ouvrirent et Robert se retrouva face à une rangée de gardes en armes. Au centre se trouvait la femme, qui tenait son fils James par les épaules. Il était maintenant certain qu’il s’agissait de sa mère, lady Douglas. Elle était jeune, séduisante, avec des yeux bruns pleins de solennité pareils à ceux de son frère.

— Je ne comprends pas, sir Robert, dit-elle d’une voix étranglée. Quelles sont vos intentions ?

— Mes hommes ne vous feront aucun mal, madame, mais vous devez quitter cet endroit. Mon père agit sur les ordres du roi Édouard et même s’il n’envoie pas d’autres hommes pour s’emparer de vous, le roi le fera certainement. Il veut faire un exemple de votre mari et dissuader les autres nobles de rejoindre Wallace.

Elle hocha la tête.

— James a un oncle à Paris.

— Mère… commença l’enfant en les regardant tour à tour.

— Il sera en sécurité là-bas, l’interrompit-elle. J’ai de la famille à l’ouest chez qui je peux aller.

— Vous devriez partir aussitôt que possible, dit Robert avant de s’incliner. Madame.

Alors qu’il prenait congé, lady Douglas fit quelques pas en avant au milieu des épées de ses gardes.

— Et vous, sir Robert, où irez-vous ? Le roi vous punira d’avoir désobéi.

Il se retourna.

— À Carrick, pour le moment.

— Vous devriez essayer de rencontrer mon frère.

— Le chambellan ? fit Robert, interloqué.

Il croyait savoir que le James Stewart qu’il connaissait était resté en Écosse et qu’il avait rendu hommage au roi Édouard, mais il n’avait pas entendu parler du grand chambellan depuis des mois. Il semblait s’être tout bonnement évanoui. Robert se rappelait cependant qu’il s’était marié l’année précédente, juste avant que n’éclate la guerre, avec une sœur de sir Richard de Burgh, le comte d’Ulster.

— William Wallace est le fils de l’un des vassaux de sir James. Vous ne croyez tout de même pas qu’il aurait pu propager une telle rébellion tout seul ? dit lady Douglas avec un léger sourire. Mon mari, aussi courageux soit-il, n’est pas son seul allié.

— Madame,… l’interrompit un garde.

— Allez le trouver, sir Robert, continua-t-elle sans tenir compte de cet avertissement. Je crois que vous trouverez en lui un ami, comme c’était le cas jadis pour votre grand-père. La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, mon frère était sur ses terres de Kyle Stewart. Si les nobles se dressent contre lui en assez grand nombre, peut-être le roi Édouard sera-t-il contraint de mettre un terme à cette occupation…

— Peut-être, répéta Robert qui n’y croyait guère.

Mais quand il se remit en route et que les portes du château se furent refermées dans son dos, il se mit à reprendre espoir. Si lui, un comte, se joignait à la rébellion, peut-être cela ferait-il une différence ? Ses actions en inspireraient peut-être d’autres, des hommes qui avaient soutenu son grand-père par le passé. Et s’ils étaient assez nombreux, le roi Édouard aurait du mal à garder le contrôle de l’Écosse sans devoir en passer par une autre campagne militaire. Il était mieux placé que la plupart des autres pour savoir que le roi pouvait difficilement se permettre de mater une révolte généralisée tant que la guerre en France faisait rage.

Calant son pied dans l’étrier, il se hissa sur la selle. Sa décision était prise. Quoi qu’il puisse arriver, il ne retournerait pas à Carlisle.

Insurrection
titlepage.xhtml
jacket.xhtml
ROBYN YOUNG 1_split_000.htm
ROBYN YOUNG 1_split_001.htm
ROBYN YOUNG 1_split_002.htm
ROBYN YOUNG 1_split_003.htm
ROBYN YOUNG 1_split_004.htm
ROBYN YOUNG 1_split_005.htm
ROBYN YOUNG 1_split_006.htm
ROBYN YOUNG 1_split_007.htm
ROBYN YOUNG 1_split_008.htm
ROBYN YOUNG 1_split_009.htm
ROBYN YOUNG 1_split_010.htm
ROBYN YOUNG 1_split_011.htm
ROBYN YOUNG 1_split_012.htm
ROBYN YOUNG 1_split_013.htm
ROBYN YOUNG 1_split_014.htm
ROBYN YOUNG 1_split_015.htm
ROBYN YOUNG 1_split_016.htm
ROBYN YOUNG 1_split_017.htm
ROBYN YOUNG 1_split_018.htm
ROBYN YOUNG 1_split_019.htm
ROBYN YOUNG 1_split_020.htm
ROBYN YOUNG 1_split_021.htm
ROBYN YOUNG 1_split_022.htm
ROBYN YOUNG 1_split_023.htm
ROBYN YOUNG 1_split_024.htm
ROBYN YOUNG 1_split_025.htm
ROBYN YOUNG 1_split_026.htm
ROBYN YOUNG 1_split_027.htm
ROBYN YOUNG 1_split_028.htm
ROBYN YOUNG 1_split_029.htm
ROBYN YOUNG 1_split_030.htm
ROBYN YOUNG 1_split_031.htm
ROBYN YOUNG 1_split_032.htm
ROBYN YOUNG 1_split_033.htm
ROBYN YOUNG 1_split_034.htm
ROBYN YOUNG 1_split_035.htm
ROBYN YOUNG 1_split_036.htm
ROBYN YOUNG 1_split_037.htm
ROBYN YOUNG 1_split_038.htm
ROBYN YOUNG 1_split_039.htm
ROBYN YOUNG 1_split_040.htm
ROBYN YOUNG 1_split_041.htm
ROBYN YOUNG 1_split_042.htm
ROBYN YOUNG 1_split_043.htm
ROBYN YOUNG 1_split_044.htm
ROBYN YOUNG 1_split_045.htm
ROBYN YOUNG 1_split_046.htm
ROBYN YOUNG 1_split_047.htm
ROBYN YOUNG 1_split_048.htm
ROBYN YOUNG 1_split_049.htm
ROBYN YOUNG 1_split_050.htm
ROBYN YOUNG 1_split_051.htm
ROBYN YOUNG 1_split_052.htm
ROBYN YOUNG 1_split_053.htm
ROBYN YOUNG 1_split_054.htm
ROBYN YOUNG 1_split_055.htm
ROBYN YOUNG 1_split_056.htm
ROBYN YOUNG 1_split_057.htm
ROBYN YOUNG 1_split_058.htm
ROBYN YOUNG 1_split_059.htm
ROBYN YOUNG 1_split_060.htm
ROBYN YOUNG 1_split_061.htm
ROBYN YOUNG 1_split_062.htm
ROBYN YOUNG 1_split_063.htm
ROBYN YOUNG 1_split_064.htm
ROBYN YOUNG 1_split_065.htm
ROBYN YOUNG 1_split_066.htm
ROBYN YOUNG 1_split_067.htm
ROBYN YOUNG 1_split_068.htm
ROBYN YOUNG 1_split_069.htm
ROBYN YOUNG 1_split_070.htm
ROBYN YOUNG 1_split_071.htm
ROBYN YOUNG 1_split_072.htm
ROBYN YOUNG 1_split_073.htm
ROBYN YOUNG 1_split_074.htm
ROBYN YOUNG 1_split_075.htm
ROBYN YOUNG 1_split_076.htm
ROBYN YOUNG 1_split_077.htm
ROBYN YOUNG 1_split_078.htm
ROBYN YOUNG 1_split_079.htm
ROBYN YOUNG 1_split_080.htm
ROBYN YOUNG 1_split_081.htm